Nora ANSELL-SALLES

mardi 3 septembre 2013

Libres propos signés Bernard Granger

POUR INFORMATION



Chers collègues,


L’agitation politico-médiatique autour de l’Hôtel-Dieu entretenue par une poignée d’irréductibles transformée en troupe d’occupation masque les problèmes beaucoup plus préoccupants que rencontre l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP).

Par la voix de sa présidente, l’Association « Hôpital pour tous », dont le Dr G. Kierzek est le porte-parole, demandait le 28 mars 2012 « qui peut imaginer un service d'urgences accueillant plus de 300 patients par jour sans chirurgie, sans radiologie, sans laboratoire, sans lits d'hospitalisation et sans réanimation ? Les médecins n'ont pas d'obligation de résultats mais ils ont une obligation de moyens. Sans chirurgie sur place, le premier bloc opératoire est certes à 15 minutes sur le papier ; mais, en pratique, et dans des situations où chaque minute compte, il faudra demain ajouter, dans le meilleur des cas, 45 minutes incompressibles : 15 minutes pour l'arrivée de l'ambulance du SAMU, 15 minutes pour mettre en condition le patient, 15 minutes pour atteindre l'hôpital le plus proche, soit une heure au total minimum. Qui endossera la responsabilité en cas de décès ? » C’est bien la raison pour laquelle, à la quasi unanimité, l’organe représentant démocratiquement la communauté médicale de l’AP-HP, la Commission médicale d’établissement (CME), a demandé fin 2012 la fermeture progressive des urgences de l’Hôtel-Dieu : « Considérant que presque tous les services d’hospitalisation de l’Hôtel-Dieu, incluant la chirurgie générale, la réanimation et la médecine interne, auront été transférés à la fin de l’année 2013 et que l’hôpital ne pourra plus assurer la sécurité continue de tous les soins sur place, la CME de l’AP-HP préconise que la fermeture progressive du service d’accueil des urgences (SAU) de l’Hôtel-Dieu soit décidée sans délai » (Motion du 12 novembre 2012). Trois jours après, au Magazine de la santé, notre collègue G. Kierzek, contre tout bon sens, affirme le contraire de ce que disait son association quelques mois plutôt et s’exclame qu’il est « scandaleux » de dire comme le fait la CME que la sécurité des malades est menacée.



Les pompiers et le SAMU, pour des raisons de sécurité, ne vont plus conduire de patients à l’Hôtel-Dieu, où il n’y a ni réanimation, ni chirurgie depuis plusieurs mois. Les patients eux-mêmes sont de moins en moins nombreux à se rendre dans cet établissement à l’agonie car ils ont bien compris que la sécurité des soins y était moins bonne qu’ailleurs. Le taux d’hospitalisation des patients pris en charge par les urgences de l’Hôtel-Dieu, déjà faible, a considérablement chuté et s’approche de zéro. Cela montre que les malades sont plus lucides que les hommes et les femmes politiques de tous bords qui s’expriment avec démagogie sur l’avenir de cet hôpital en défendant une solution peu compatible avec la sécurité des soins.

L’argument du désert médical au cœur de Paris est une imposture, car il y a cinq centres d’accueil des urgences (SAU) avec réanimation et chirurgie à moins de 3,5 kilomètres de l’Ile de la Cité. L’argument des millions de touristes est une imposture, car ayant fait des centaines ou des milliers de kilomètres pour visiter Paris, ils peuvent en faire quelques uns de plus pour se rendre dans un SAU en cas de besoin, d’autant que visiter la cathédrale Notre-Dame ne prend qu’une fraction limitée de leur séjour. L’argument de la saturation des autres sites d’urgence est une imposture, car ils se sont justement préparés à faire face à la fermeture des urgences de l’Hôtel-Dieu, comme l’a rappelé la collégiale des urgentistes de l’AP-HP.

Endettée jusqu’à la gorge, sans projet mobilisateur, de plus en plus délaissée par ses médecins et ses personnels, car de moins en moins attractive, l’AP-HP s’épuise dans ce mauvais feuilleton. Quand la direction générale et le conseil d’administration de l’AP-HP cesseront-t-ils d’entretenir l’illusion d’un « grand projet pour le 21e siècle », menée sans professionnalisme, de façon autistique, et surtout auquel ils sont les seuls à croire ? Si la CME de l’AP-HP s’est exprimée pour la fermeture des urgences de l’Hôtel-Dieu pour des raisons de sécurité des soins, elle n’a jamais avalisée le projet du futur Hôtel-Dieu, jugé flou, coûteux et peu pertinent.

Avoir fait de l’Hôtel-Dieu un projet emblématique est une erreur politique, médicale et économique. Politique, car cela cristallise les passions dans un contexte électoral peu propice à une réflexion rationnelle, et démontre que la direction générale de l’AP-HP, quel qu’en soit le titulaire, est incapable de mener ses réorganisations sans désespérer ses personnels. Médicale, car « l’hôpital universitaire de santé publique » est un concept vide de sens, un amalgame d’activités ambulatoires hétéroclites sans souffle et sans véritable prise en compte des évolutions que connaissent aujourd’hui la recherche et la pratique médicales. Economique enfin, car les immenses ressources dilapidées pour ce mauvais projet ne vont pas là où elles seraient si nécessaires, dans tous les autres hôpitaux de l’AP-HP, soumis à des restrictions toujours plus sévères et de plus en plus dans la difficulté pour assurer convenablement leurs missions.



Qui aura la clairvoyance de siffler la fin de cette lamentable partie ?


Amitiés et bon courage.


Bernard Granger.

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